Tribune : travailleurs détachés, l’impératif des asperges l’emporte-t-il sur la pandémie ?
En cette saison de récoltes agricoles et partout en Europe, de l’Italie à l’Autriche, en passant par l’Allemagne et la France, des centaines de milliers de travailleurs provenant en grande majorité d’Europe de l’Est, manquent à l’appel dans les exploitations. Cette difficulté à recruter de la main-d’œuvre saisonnière, incontournable dans le secteur, jette une lumière crue sur le manque de valorisation des professions agricoles et le système d’exploitation institutionnalisé qui en découle. La logique du profit, des prix en chute libre – particulièrement du fait des grandes surfaces – pour des produits récoltés à la main pousse au dumping salarial.
Les grosses exploitations agricoles ouest-européennes reposent en effet en grande partie sur l’emploi précaire d’une main-d’œuvre étrangère mobile, mal payée, très souvent sous statut détaché et parfois non déclarée. Le Commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski, ne s’y est pas trompé en demandant il y a quelques jours de leur faciliter le passage des frontières, au motif que ces travailleurs seraient indispensables à la sécurité alimentaire de l’UE.
Nous nous inquiétons du sort de ces travailleurs
Son appel a été entendu, et c’est désormais par bus et vols charters entiers qu’ils affluent pour récolter les asperges en Allemagne ou les tomates italiennes. Alors que la situation sanitaire semble avoir été sous contrôle en Roumanie jusqu’à présent, l’ouverture d’un « pont aérien » décidé par Bucarest sous pression du patronat et du gouvernement allemand fait courir le risque d’une dégradation.
Nous nous inquiétons du sort de ces travailleurs. Nul ne peut croire que les mesures barrières seront correctement respectées, dans un secteur fonctionnant sur la base d’outils échangés, de transports collectifs et de logement dans des dortoirs. Lorsque ces travailleurs tomberont malades ou qu’ils se blesseront au travail, ce ne sont pas les services de santé ouest-européens qui pourront prendre soin d’eux, du fait de leur statut. Et quand bien même ils seraient restés chez eux, ils n’auraient pas été éligibles aux mesures de chômage partiel, n’ayant bien souvent cotisé à aucun système de sécurité sociale du fait de montages frauduleux.
Le monde d’après doit commencer dès à présent et cela commence par l’égalité des droits !
Rappelons à cet égard que dans le cadre du travail mobile (travailleurs détachés ou saisonniers, les statuts pouvant s’amalgamer), la fraude est massive en Europe. Ainsi, des milliers de salariés détachés ne sont couverts par aucun régime d’assurance maladie, ce qui les rend encore plus vulnérables en période de pandémie. Il n’est pas rare que des salariés ayant dû être hospitalisés en urgence ressortent avec des factures de plusieurs milliers d’euros, faute d’assurance médicale.
La crise exacerbe l’iniquité intrinsèque du travail détaché, système exploitant des centaines de milliers de travailleurs à travers l’Europe, jouant sur la mise en compétition des systèmes sociaux et des écarts salariaux, pour le seul profit du grand patronat. La crise du Covid-19 nous invite à tout repenser. Le monde d’après doit commencer dès à présent et cela commence par l’égalité des droits !
Manuel BOMPARD, député européen France insoumise
Leila CHAIBI, députée européenne France insoumise
Ozlem DEMIREL députée européenne Die Linke (Allemagne)
Marc BOTENGA, député européen PTB (Belgique)
Malin BJORK, députée européenne Vänsterpartiet (Suède)
Nikolaj VILLUMSEN, député européen Enhedslisten (Danemark)
Jean-Luc MÉLENCHON, député France insoumise
Tribune initialement parue sur Marianne