Fret ferroviaire : stop au grand démantèlement !
Bruxelles, le 19 octobre 2023
Monsieur le vice-président exécutif Šefčovič,
Monsieur le commissaire Reynders,
Madame la Commissaire Valean,
Vous l’avez probablement vécu vous-même, ou lu dans la presse : l’été 2023 a été, selon l’observatoire européen Copernicus, le plus chaud jamais enregistré jusqu’à présent. Le mois de septembre 2023 a malheureusement lui aussi battu des records. Le dérèglement climatique va plus vite que ce que les modèles prévoyaient. Inutile de préciser que les conséquences sont désastreuses pour de nombreux européen·nes. Malgré la gravité de la situation, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter dans le secteur des transports : +7,2 % pour le premier trimestre 2023, selon Eurostat. Il s’agit de la plus forte augmentation parmi tous les secteurs analysés.
C’est pourquoi il est crucial de rapidement mettre en œuvre la transition écologique. Le fret ferroviaire est l’un des principaux piliers de la décarbonisation du secteur des transports. Il émet neuf fois moins de CO2 que le fret routier. En ce sens, nous soutenons pleinement l’objectif de la « Stratégie de mobilité durable et intelligente » de la Commission européenne de doubler la part du fret ferroviaire d’ici 2050. Néanmoins, nous avons de sérieuses inquiétudes quant à la manière dont la Commission entend atteindre cet objectif.
Deux enquêtes approfondies ont été lancées pour aides d’État potentiellement illégales à l’encontre des deux principaux opérateurs de fret ferroviaire en Europe : DB Cargo et Fret SNCF. Bien que ces enquêtes soient toujours en cours, elles ont déjà poussé les gouvernements allemand et français à restructurer le secteur. En Allemagne, 21 000 emplois sont menacés à cause de l’enquête de la Commission, mais aussi de la situation économique ainsi que de l’absence de financement national et supranational pour le transport ferroviaire de marchandises. Même si l’enquête contre Fret SNCF a été lancée plus tard, le gouvernement français a déjà annoncé la liquidation de l’entreprise. Environ 500 emplois (1 travailleur de Fret SNCF sur 10) pourraient être perdus. En 20 ans, Fret SNCF est déjà passé de 15 000 à 5 000 salariés. Le fait que le gouvernement français n’ait pas attendu la fin de l’enquête est incompréhensible et soumet les travailleurs à une pression inutile. En outre, la Commission n’a consulté aucune des organisations syndicales représentatives allemandes et françaises.
Ces restructurations et liquidations risquent d’entraîner un transfert modal du rail vers la route. En Allemagne, la restructuration du secteur du wagon isolé pourrait à elle seule amener 40 000 poids lourds par jour en plus sur les routes. En France, si certains trains complets pourraient être repris car faciles à exploiter et rentables, il est probable que les concurrents de Fret SNCF ne soient pas en mesure de reprendre l’entièreté des 23 trains dédiés qui doivent être cédés par Fret SNCF (et qui représentent environ 20 % de son chiffre d’affaires ou 6 milliards de tkm). En revanche, le trafic de wagons isolés, qui est en concurrence directe avec la route, est appelé à disparaître (ou à être sous-traité à Fret SNCF). De plus, il est important de noter que le principal concurrent de Fret SNCF est DB Cargo. Or, si DB Cargo supprime des emplois (en plus des 21 000 emplois en Allemagne, 11 000 emplois sont menacés dans les filiales étrangères de DB Cargo en Europe), il ne sera certainement pas en capacité de reprendre les flux laissées par Fret SNCF. Cela se traduirait par une augmentation du nombre de camions sur les routes.
En d’autres termes, la Commission crée de l’incertitude pour un secteur qui a besoin de planification et de vision à long terme. Ce faisant, la Commission pourrait mettre en péril les principaux opérateurs européens et compromettre l’objectif de transporter les marchandises par train plutôt que par camion. Le fret ferroviaire est un secteur qui repose sur de grands volumes et des économies d’échelle.
Fragmenter le secteur en imposant une nouvelle privatisation met en danger l’objectif de développement
et d’expansion du fret ferroviaire. Se focaliser uniquement sur les dettes financières des entreprises est une preuve manifeste d’absence de vision de long terme. D’autant plus que les opérateurs ferroviaires sont forcées de rivaliser avec le secteur routier où le dumping social et environnemental est très fort. Rien qu’en France, on estime que le secteur du fret ferroviaire a permis au gouvernement français d’économiser 10 milliards d’euros en externalités négatives.
C’est pourquoi, afin de donner aux opérateurs ferroviaires les moyens d’atteindre l’objectif de doubler la part du fret ferroviaire en 2050, nous vous demandons de mettre fin à ces deux enquêtes. De plus, afin de sécuriser le secteur du fret ferroviaire, nous vous demandons de le déclarer comme service d’intérêt général, permettant ainsi aux États membres de soutenir ce secteur clé pour la transition écologique.
Nous vous prions d’agréer, Madame, Messieurs, l’expression de nos salutations distinguées.
Député·es européen·nes :
Karima DELLI, présidente de la commission TRAN, France
Leïla CHAIBI, membre de la commission TRAN, France
Manon AUBRY, membre de la commission ECON, France
Clare DALY, membre de la commission TRAN, Irlande
Ozlem DEMIREL, membre de la commission EMPL, Allemagne
Cornelia ERNST, membre de la commission ITRE, Allemagne
Malte GALLÉE, membre de la commission ENVI, Allemagne
Raphaël GLUCKSMANN, membre de la commission AFET, France
Elena KOUNTOURA, membre de la commission TRAN, Grèce
Aurore LALUCQ, membre de la commission ECON, France
Pierre LARROUTUROU, membre de la commission EMPL, France
Nora MEBAREK, membre de la commission TRAN, France
Marina MESURE, membre de la commission ENVI, France
Younous OMARJEE, président de la commission REGI, France
René REPASI, membre de la commission IMCO, Allemagne
Martin SCHIRDEWAN, membre de la commission ECON, Allemagne
Syndicats :
Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) EVG
CGT Cheminots
CFDT Cheminots
UNSA Ferroviaire
SUD Rail