Il y a 10 ans s’immolait Mohamed Bouazizi, le déclenchement du printemps arabe

Paris. A French protest in support of Mohamed Bouazizi, « Hero of Tunisia » de Antoine Walter.
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Le berceau de la révolution tunisienne se situe à une trentaine de kilomètres du village d’origine de mon père, où vit encore une bonne partie de ma famille paternelle. À Sidi Bouzid, le 17 décembre 2010, un jeune vendeur ambulant se voit une nouvelle fois confisquer ses marchandises par des policiers. La fois de trop. Dans un geste de colère et de désespoir, Mohamed Bouazizi, 26 ans, s’immole quelques instants plus tard devant la préfecture. 

C’est ainsi qu’est née l’étincelle de la Révolution et que s’éteint celui qui deviendra son premier martyr. 

Parce que des martyrs, il y en aura d’autres. Du geste de Bouazizi, la contestation sociale s’élève. Le ras-le-bol de 23 années de dictature benaliste s’étend des régions défavorisées du sud et du centre tunisien à celles plus aisées du nord. Tunis est bientôt gagnée par le vent de la révolte. L’avenue Bourguiba est noire de monde. Travail, Liberté, Dignité. Le slogan des manifestants est clair. Il est humain. La répression policière en revanche, l’est moins. C’est à balles réelles que les policiers tirent sur la foule. Le sang, les larmes, les morts, rien n’arrêtera le feu révolutionnaire. Rien, dans ce pays gangréné par la corruption, ne semble lui résister.

Un autre slogan, limpide, Dégage. Le 14 janvier 2011, moins d’un mois après le suicide du jeune Mohamed Bouazizi, le président Zine el-Abidine Ben Ali fuit le pays devant la contestation populaire. 338 morts et des blessés, ce sera le prix de la liberté. 

Dix années sont passées. Que reste-t-il de la Révolution ? 

L’étincelle s’est transformée en brasier, la Révolution tunisienne en Printemps arabe. Puis, le Printemps arabe a enfanté d’un hiver islamiste, hiver où les nôtres, militants humanistes, ont été attaqués. Chokri Belaïd, le 6 février 2013, puis Mohamed Brahmi, le 25 juillet de la même année, nos camarades du Front populaire ont été lâchement assassinés. 

Le peuple tunisien, prix Nobel de la paix en 2015 a ainsi enduré des crises économique, constitutionnelle, terroriste et aujourd’hui sanitaire. Malgré cela, les acquis de la Révolution sont notables, la jeunesse a un poids politique plus important, la liberté d’expression est un fait, le pluralisme également. La Tunisie est aujourd’hui bel et bien une démocratie avec des élections transparentes et un Parlement élu et souverain. 

Toutefois, l’absence de justice sociale et de dignité par le travail, racine de la Révolution, est encore présente. Il y a aujourd’hui encore un chômage de masse et des inégalités très fortes à la fois entre les régions de l’intérieur et celles du littoral, ainsi qu’entre les citoyens eux-mêmes. Les espoirs de nombreux jeunes, restés sans réponse, les amènent à quitter leur pays et choisir notre continent pour trouver un emploi et faire vivre leur famille. 

L’Union européenne n’est pas innocente de ces drames, en Tunisie comme en Europe, le néolibéralisme fait des ravages. Avant la crise sanitaire, un accord de libre échange entre le continent et la Tunisie était en discussion, l’ALECA. L’ouverture du marché tunisien aux entreprises européennes aurait des conséquences néfastes pour les entreprises tunisiennes déjà fragilisées par les nombreuses crises. Couplé aux mesures austéritaires imposées par le FMI, l’ALECA a été qualifié d’instrument de néocolonialisme économique. Nous, européens, ne devons pas répéter les erreurs du passé. Pour soutenir la liberté et la démocratie, imposer le néolibéralisme n’est, de Mexico à Tunis, en passant par Paris, jamais la solution. La flamme de la Révolution ne doit pas s’éteindre sur l’autel des intérêts économiques.

Pour le Mohamed Bouazizi de 2020, la situation serait-elle réellement différente aujourd’hui ? Le marasme économique et social (chômage, pauvreté, inflation, corruption), accentué par les conséquences de la crise du Covid-19, risque de remettre en cause les victoires acquises sur le plan démocratique et politique.

Texte écrit à quatre mains avec Sirine Bechouel, stagiaire au sein de mon cabinet.