Tribune : face à la crise, planifier le ciel​ !

Image par ThePixelman de Pixabay 

La désorganisation de l’ensemble du secteur aérien sera durable et les faillites et restructurations nombreuses. Devant l’ampleur du choc, une réorganisation en profondeur s’impose afin de faire face aux conséquences sociales et environnementales.

Les traînées des avions ont presque disparu du ciel. Les aéroports sont, par moments, devenus silencieux. Avec la fermeture des espaces aériens et les mesures de protection sanitaire, c’est tout le transport aérien qui est à l’arrêt. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en Europe, le trafic est en chute de 88%, près des 80% des employé·es d’Air France sont au chômage partiel et l’aéroport d’Orly est fermé depuis le 31 mars. Si cette situation fait le bonheur de nos poumons et de nos oreilles, c’est aussi une grande source d’inquiétude pour les travailleur·euses de l’aérien. Pour elles et eux, faisons le vœu que cette crise permettra de poser de nouvelles bases pour repenser les bases d’un secteur devenu fou.

Encore plus que pour les autres modes de transport, la reprise sera difficile pour l’aérien. Selon les prévisions les plus «optimistes», il faudrait trois ans pour retrouver les niveaux de trafic de 2019 et dix ans pour rattraper la trajectoire d’avant la crise. La désorganisation de l’ensemble de la filière sera durable et les faillites et restructurations nombreuses.

Ce n’est pas seulement un secteur qui est à l’arrêt mais aussi un symbole. L’aviation est l’emblème d’un monde globalisé toujours plus rapide, mobile et conquérant. C’est aussi un parfait exemple de secteur en forte croissance totalement dépendant des énergies fossiles. L’aérien bénéficie d’ailleurs d’un traitement à part : exemption de taxe sur le kérosène et absence d’objectifs climatiques, alors qu’il est responsable d’environ 3% des émissions de gaz à effet de serre. Un chiffre qui double si on prend en compte l’impact du forçage radiatif sur le climat (l’effet de serre créé notamment par les traînées de condensation des avions).

La croissance du transport aérien n’a pas permis d’éviter la dégradation des conditions de travail, bien au contraire. Le néolibéralisme et l’émergence des compagnies low cost ont ainsi exacerbé le dumping social, remettant en cause le droit du travail et accroissant la sous-traitance.

Remettre le modèle à plat

Devant l’ampleur du choc, une réorganisation en profondeur de toute la filière s’impose afin de faire face aux conséquences sociales et environnementales. Aussi, pourquoi ne pas considérer le transport aérien comme un secteur stratégique, à la fois pour ce qu’il permet (se déplacer sur des longues distances dans un laps de temps très court) et ce qu’il entraîne (artificialisation des terres, pollution sonore, etc.) ?

La pandémie a montré au grand jour l’inutilité du marché pour anticiper, prévoir et planifier. Dès lors, il faut créer les conditions d’une reprise en main de l’aérien par la puissance publique. Mais attention aux effets d’annonces. Si le gouvernement a décidé d’accorder 7 milliards d’euros d’aide à Air France, ce n’est en aucun cas pour changer de modèle. Le deuxième projet de loi de finances rectificative exclut de conditionner le soutien de l’Etat à des contreparties environnementales. Et ne parlons pas de conditionnalités sociales !

Pour ce faire, il est possible de nationaliser les compagnies aériennes françaises (Air France, Hop!, Transavia, Air Caraïbe, Corsair et Air Tahiti Nui) et de les regrouper dans un grand groupe public. De même pour les aéroports privatisés ou détenus en partie par l’Etat (ADP et les aéroports régionaux). De plus, pour mettre fin à la précarisation des conditions de travail, les salarié·es des entreprises sous-traitantes (bagagistes, ménages, réservations, fret, etc.) doivent pouvoir être réintégré·es au groupe public.

Avec l’appropriation publique de l’aérien, il devient possible d’instaurer un réel débat démocratique sur le rôle de l’aviation, notamment en termes de besoins des populations, d’aménagement du territoire et d’impacts sur l’environnement.

Pour ce faire, les règles du jeu peuvent être changées, en permettant aux salarié·es et à leurs organisations syndicales, aux associations environnementales et aux citoyen·nes de prendre pleinement part à la définition des objectifs à atteindre et des moyens pour y parvenir.

De l’interdiction des vols intérieurs

D’ores et déjà, des solutions sont sur la table : interdiction de certains vols intérieurs et report modal vers le train, développement des trains de nuits, interdiction du fret aérien pour les marchandises non essentielles, révision des modèles touristiques pour privilégier les destinations proches, etc. D’autres propositions sont également à l’étude comme le rationnement des voyages, en fonction de la dispersion géographique familiale. Il n’est pas question que le changement de priorités se fasse au détriment des salarié·es, ni qu’ils payent les pots cassés de la crise.

Comme l’a fait l’Italie, il est possible d’interdire les licenciements. Le financement par l’Etat des salaires des entreprises en difficulté est par ailleurs une mesure qui prend tout son sens pour répondre à la crise. Par la suite, il faut s’appuyer sur la réduction du temps de travail, sans perte de salaires, et sur les départs en retraite anticipée pour diminuer le volume de travail.

Dans le même temps, l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle peut permettre aux salarié·es de garder la totalité de leurs droits et rémunérations le temps de se former pour retrouver un emploi dans un secteur d’activité soutenable. En parallèle de ce mécanisme de reconversion, nous pourrions instaurer un «droit opposable à l’emploi», en particulier pour les salarié·es des entreprises qui font faillite, en faisant de l’Etat l’employeur en dernier ressort.

Des exemples de transition rapide et bénéfique pour la société existent : Airbus s’est ainsi associé à Thales pour produire des respirateurs afin de faire face à la pénurie d’équipements médicaux. Planifier le ciel, c’est prendre en compte les limites de l’écosystème, planifier nos besoins et mettre en valeur les savoir-faire des travailleur·euses de l’aérien.

Signataires : Leïla Chaibi, députée européenne, Manuel Bompard, député européen, Kevin Kijko, co-animateur du livret transport de la France insoumise, Emilie Marche, co-animatrice du livret transport de la France insoumise, Danièle Obono, députée, Mathilde Panot, députée, Anne-Sophie Pelletier, députée européenne, Loïc Prud’homme, député, François Ruffin, député.

 

Tribune initialement parue sur le site de Libération.