Tribune | L’aviation en plein jet-lag
Certains présentent les avancées technologiques comme le remède miracle pour le secteur de l’aviation. C’est une chimère ! En réalité, seule une décroissance ordonnée et planifiée du trafic aérien, conjuguée à une exigence sociale, sortira l’aviation de son jet-lag.
Tribune. Un impératif climatique, et une exigence sociale. Ce sont les deux jalons qui doivent guider notre action pour l’avenir du transport aérien. L’impératif, c’est le climat et, plus précisément, l’empreinte carbone du transport aérien. Malgré le trou d’air dû à la pandémie de Covid-19, l’aviation est responsable d’environ 3 % des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, si on prend en compte le forçage radiatif (l’effet de serre créé notamment par les traînées de condensation des avions) les études scientifiques convergent pour dire que l’impact du transport aérien sur le climat serait, au minimum, deux fois plus important. Un impact en augmentation au vu des prévisions de croissance du trafic.
Impératif climatique
Alors que les rapports du GIEC s’accumulent et que les conséquences du dérèglement climatique apparaissent chaque fois plus catastrophiques, ne pas prendre pleinement en compte la responsabilité de l’aviation est criminel. L’aviation apparaît en total décalage, en plein jet lag avec les exigences environnementales attendues. Essayant de détourner l’attention du problème principal, certains présentent les avancées technologiques comme le remède miracle. Mais c’est une chimère : les prévisions les plus optimistes tablent sur les premiers vols commerciaux à bord d’avions électriques en 2030. Et encore, cela ne concernerait que quelques avions et la faisabilité est incertaine. Dit autrement : ce n’est une option ni globale, ni sérieuse.
L’analyse détaillée de l’empreinte carbone de l’aviation révèle que les émissions sont causées par une toute petite minorité de voyageurs : en France, la moitié des déplacements en avion est effectuée par 2 % des voyageurs et un vol sur dix qui décolle est un jet privé. Les inégalités déjà présentes dans la société sont donc exacerbées en matière d’empreinte carbone.
Dès lors, pour le bien du plus grand nombre et pour la planète, ce n’est pas une croissance folle du nombre d’avions dans notre ciel que l’on doit viser, mais bel et bien une décroissance ordonnée et planifiée du trafic aérien. C’est d’ailleurs le message implacable de jeunes ingénieurs de Supaéro, qui, forts de leur formation dans l’aéronautique, ont le courage d’affirmer qu’il faut radicalement changer de cap.
Exigence sociale
Ceci étant dit, pour qu’il soit juste, l’impératif climatique doit nécessairement être conjugué à l’exigence sociale. La réduction du trafic aérien aura un impact important sur les emplois dans le secteur aéronautique. Dans la plupart des cas, ces emplois sont aujourd’hui soumis à des décisions politiques et économiques sans concertation avec les salariés. Or, le savoir-faire unique des salariés est une opportunité incroyable pour préparer la reconversion du secteur de l’aérien. Pour ce faire, la création d’un pôle public autour d’Air France et d’Aéroports de Paris devra constituer un outil central pour opérer la transition planifiée du secteur aérien.
En parallèle, des mécanismes de garantie de l’emploi doivent être mis en place afin de faire en sorte que les employés du secteur puissent pleinement continuer à bénéficier de leurs droits acquis pendant les potentielles reconversions professionnelles. En effet, plus la transition sera juste, plus elle sera solide et partagée. En résumé : pour le transport aérien, l’exigence de justice sociale est la condition essentielle au respect de l’impératif climatique.
Tribune parue dans la revue Le Trombinoscope de Juin 2022 – N°271