Tribune : le sushi n’est pas essentiel à la vie de la nation et les travailleurs ubérisés ne sont pas de la chair à canon !
A qui profite le crime ?
La livraison de sushis est-elle essentielle à la vie de la nation? Jusqu’à présent, le gouvernement a tranché: oui. La lutte contre la propagation du Covid-19 passe donc après la livraison de bò bún et autres burgers à des Parisiens du 11e confinés, au risque de mettre en danger les livreurs, les restaurateurs et les clients eux-mêmes.
Alors que nous vivons “la plus grande crise sanitaire mondiale de ces dernières décennies”, nos gouvernants seraient assez dingues pour mettre sur le même plan la livraison à domicile de repas cuisinés, voire juste une crêpe au Nutella, et les “services essentiels” que sont le service de ramassage des ordures ou le travail des employés des pharmacies par exemple?
Alors que les entreprises sont appelées à prendre leurs responsabilités vis-à-vis de leurs salariés pour contrer l’épidémie, Deliveroo et Uber continuent de se cacher derrière le fait que les milliers de livreurs qui travaillent à leur service ne sont pas leurs salariés. En effet, pour maximiser leurs profits et s’exonérer de leurs obligations sociales et en matière de droit du travail, les plateformes numériques se reposent depuis plusieurs années sur un système qu’elles ont inventé et qui consiste à baser leur activité sur une armée de travailleurs corvéables, payés à la tâche, sans aucun droit, sous statut de micro-entrepreneurs.
Ainsi, leurs coursiers ne bénéficient pas de la protection sociale et touchent des indemnités d’arrêt de travail si faibles –entre 10 et 20 euros par jour pour les plus chanceux– qu’ils ne peuvent guère compter dessus. S’ils sont contaminés par le Covid-19, ils ne pourront donc pas se mettre en arrêt maladie comme c’est le cas pour n’importe quel salarié. Sous la pression, Deliveroo et Ubereats ont annoncé qu’en raison des circonstances exceptionnelles, les livreurs en quarantaine ou malades auraient droit à une indemnité équivalente à maximum 14 jours d’activité. Mais s’ils décident d’arrêter de travailler pour se protéger face à l’épidémie, ces travailleurs ubérisés ne peuvent bénéficier des mesures de chômage partiel annoncées par le gouvernement, qui prendra en charge 84% du salaire net des salariés des entreprises contraintes de cesser leur activité pour des raisons de précaution sanitaire. Le chômage partiel s’applique aux salariés, or les forçats à deux roues sont officiellement des travailleurs “indépendants”.
S’ils sont contaminés par le Covid-19, ils ne pourront pas se mettre en arrêt maladie comme c’est le cas pour n’importe quel salarié.
Comble du cynisme, pendant que les supermarchés étaient saturés par des files d’attente de clients venus faire leurs provisions en vue du confinement, pendant que les rayons de pâtes étaient vidés… Deliveroo a mis en place depuis quelques jours un nouveau service: la livraison dite ”épicerie”, qui propose de vous faire livrer un paquet de spaghetti à 7€ le kilo! À qui profite le crime? Il s’agit ici non pas de faire l’intermédiaire entre une épicerie et un client, mais de livrer des produits issus d’une ”épicerie” Deliveroo, où manifestement, des réserves de paquets de pâtes ont été stockées.
Il est urgent d’arrêter le sacrifice des travailleurs ubérisés sur l’autel du profit des plateformes numériques et au mépris des précautions sanitaires. Soyons sérieux: non la livraison de pizzas et de sushis n’est pas une activité essentielle. Personne ne mourra parce que privé pendant deux mois de california makis. Cette activité doit s’arrêter immédiatement, comme le demandent des collectifs de travailleurs dont le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP). Mais les travailleurs doivent pouvoir être protégés et ne pas subir cet arrêt d’activité qui n’est pas de leur fait. Il est urgent de reconnaître que les livreurs à vélo de Deliveroo ou UberEats tout comme les chauffeurs Uber travaillent dans le cadre d’un lien de subordination vis-à-vis de plateformes qui les dirigent et qu’à ce titre, ils doivent bénéficier des mêmes droits que n’importe quel salarié. À commencer, dès la fermeture de ces plateformes, par le droit au chômage partiel annoncé par le gouvernement qui leur permettront de percevoir, eux aussi, 84% de la rémunération qu’ils touchaient en activité. Si le gouvernement persiste à vouloir considérer ces travailleurs comme des indépendants, dans l’urgence, il doit alors a minima leur permettre de bénéficier du fonds de garantie aux entrepreneurs et leur verser, comme à tous les autres, l’indemnité de 1500€ du “Fonds de solidarité” nouvellement créé.
Les travailleurs précaires ne peuvent pas être les victimes collatérales de la gestion du confinement, sacrifiés sur l’autel de l’impunité de plateformes numériques prêtes à tout, “quoi qu’il en coûte”, pour continuer de maximiser leurs profits.