Tribune | Marchons pour réduire le trafic aérien !
Image par ThePixelman de Pixabay
Devant l’urgence climatique, des personnalités civiles, scientifiques et militants se rassembleront, partout en France, le 3 octobre pour défendre une réduction du trafic aérien et un plan de reconversion du secteur pensé avec les salariés.
D’autant plus quand on voit les objectifs de croissance du secteur : depuis plusieurs décennies, le trafic aérien double tous les quinze ans et les projets de construction de nouvelles infrastructures aéroportuaires se multiplient dans le monde. En France, des projets comme l’extension du terminal 2 à Nice ou du terminal 4 à Roissy prévoient une augmentation respective du trafic de l’aéroport de plus de 50% d’ici 2030 et de 38% d’ici 2037.
Le progrès au service d’une illusion verte
Poussés dans leurs retranchements, les acteurs du secteur proposent des pistes pour continuer à voler. «L’avion vert» mise sur de nouveaux gains d’efficacité qui permettraient de rendre l’aviation plus «écologique». Mais ce graal est un mythe : «Le transport aérien fait partie des quelques secteurs pour lesquels il n’existe pas, à court ni moyen termes, d’alternative technologique « décarbonée »»? conclut un rapport du Shift Project.
La trajectoire actuelle, rendue acceptable par l’idée de «croissance verte», nous emmène en réalité vers une augmentation des émissions du secteur aérien qui consommerait à lui seul l’équivalent du budget carbone de la France en 2050. Alors que fait-on ? On arrête de manger, de se chauffer et de se vêtir pour qu’une minorité de la population continue de voler ?
La réduction du trafic aérien
Comme le montrent bien les différents scénarios du rapport de BL Evolution, le seul moyen de s’aligner sur l’accord de Paris est de diminuer drastiquement le trafic aérien. En France, la moitié des déplacements par avion est le fait de 2% de personnes. Les mesures nécessaires à la diminution du trafic ne concerneront donc que les personnes qui ont les moyens et l’habitude de prendre l’avion. Car si les déplacements en avion sont devenus légèrement plus accessibles, prendre l’avion reste un marqueur social fort, confirmant la corrélation entre empreinte carbone individuelle et niveau de vie.
Des mesures sont à mettre en place dès maintenant pour emprunter cette voie. Réduire le trafic, c’est réduire le nombre d’avions en vol et donc cesser d’augmenter la capacité d’accueil des aéroports. Un arrêt des projets de construction, d’extension et d’aménagement des aéroports doit être décidé dès maintenant. Les vols pour lesquels une alternative existe en train en moins de cinq heures (a minima) doivent être supprimés, et l’offre de train de jour et de nuit améliorée et renforcée pour accompagner ce changement et son extension progressive.
Les avantages financiers mis en place pour inciter les gens à prendre l’avion doivent être retirés. L’exonération de taxe du kérosène peut et doit être supprimée au niveau national, et la TVA sur les billets ramenée au taux normal de 20%. Les subventions régionales et locales aux aéroports et aux compagnies aériennes doivent également être supprimées et redirigées vers des secteurs d’intérêt collectif. Ces mesures permettraient de rétablir un peu de justice fiscale en faisant cesser l’effort économique fourni par toute la population pour maintenir une minorité de personnes dans les airs. Elles auront également un impact énorme sur l’amélioration de la qualité de vie et la santé des riverains d’aéroports et des populations survolées qui souffrent quotidiennement des nuisances de ce mode de transport.
La question de la régulation voire l’interdiction des jets privés et des vols d’affaires se pose également. L’exemple de la ligne Nice-Monte-Carlo qui fait en six minutes ce que le train fait en vingt et une minutes, et ce 48 fois par jour, illustre combien ces derniers cristallisent injustice sociale et climatique.
Un plan de reconversion
La réduction du trafic aérien aura un impact sur les emplois disponibles dans ce secteur. Ces emplois sont aujourd’hui soumis à des décisions politiques et économiques sans concertation avec les salariés, comme les plans sociaux massifs à Air France, à Airbus et chez de nombreux sous-traitants, malgré le plan d’aide gouvernemental.
Or, les salariés sont les plus à même de préparer la reconversion de leur secteur d’activité. Nous demandons un plan de reconversion de l’industrie et des emplois du secteur de l’aéronautique où les employés, élus et citoyens dialoguent ensemble pour penser la réorganisation de notre système de mobilité intégré à la réalité de nos territoires. Le savoir-faire des salariés doit être déployé dans des secteurs compatibles avec une société soutenable : développer la relocalisation des emplois avec le tissage d’un réseau local, redynamiser le tourisme local, les mobilités douces, la sobriété énergétique, développer le réseau ferroviaire avec la réhabilitation des trains de nuit intégrés dans un réseau européen et rendre ces transports accessibles à tout le monde. Davantage de ressources humaines et financières doivent être allouées à la conception de bateaux à voile et de dirigeables, et à d’autres solutions d’avenir permettant de réellement réduire l’impact du trafic aérien.
Une mobilisation de Bayonne à Paris
Parce que nous n’avons pas d’autre choix devant l’urgence climatique, nous marcherons le 3 octobre vers les aéroports, dans la non-violence et le respect des personnes, pour demander la réduction du trafic aérien et la mise en place d’un plan de reconversion et de formation pour les employés du secteur. A travers des marches, des vélorutions, des rassemblements, des occupations d’aéroports et des actions déterminées, nous nous réapproprierons cet espace. A Bayonne, Bordeaux, Clermont, Lille, Marseille, Nantes, Nice, Paris, et bien d’autres villes, nous marcherons pour la justice économique, sociale et climatique afin de ne laisser personne sur le carreau ! Bien plus qu’un voyage, nous proposons un aller simple pour une aventure qui va mobiliser notre imagination, notre audace, notre intelligence collective et émotionnelle : créer une société soutenable et juste.
Les premiers signataires: Kévin Jean, enseignant-chercheur en épidémiologie, initiateur de «l’Appel des 1 000 scientifiques à la désobéissance civile», Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, Priscillia Ludosky, gilet jaune, cofondatrice de la Ligue citoyenne, Marie-Monique Robin, journaliste d’investigation, réalisatrice, Frédéric Boone, Initiateur de «l’Appel des 1 000 scientifiques à la désobéissance civile» et enseignant-chercheur membre de l’Atécopol, Corinne Morel-Darleux, autrice et conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes, Geneviève Azam, économiste, Dominique Bourg, professeur honoraire à l’université de Lausanne, Manon Aubry, eurodéputée La France insoumise, Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Ecologie-les Verts, Leïla Chaibi, eurodéputée La France insoumise, Dominique Potier, député PS, Marie Toussaint, eurodéputée Europe Ecologie-les Verts, François Ruffin, député La France insoumise, Picardie Debout, Jean-Luc Mélenchon, député La France insoumise, Caroline Fiat, députée La France insoumise, Mathilde Panot, députée La France insoumise, Ugo Bernalicis, député La France insoumise, Vincent Verzat, youtubeur militant, Roxane Nonque, fondatrice du média et agence Dearlobbies, Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, Cécilia Rinaudo, coordinatrice de Notre Affaire à tous, Eric Piolle, maire Europe Ecologie-les Verts de Grenoble, Maxime Combes, économiste, Julian Carrey, enseignant-chercheur membre de l’Atécopol, Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement, collectif «Oui au train de nuit», Réseau Action Climat, Résistance climatique, Association TaCa, collectif «Citoyen 06», association OYE 349. La liste complète des signataires est à retrouver sur https://alternatiba.eu/2020/09/tribune-avions-au-sol-3-octobre/
Tribune initialement parue sur Libération ici