Tribune | Nous ne serons plus jamais les bonnes petites soldates de vos guerres !

La «guerre» décidée par des hommes en col blanc a été menée grâce à l’envoi de femmes en première ligne. Mais en ce 8 mai, nous prévenons, ne croyez-pas que nous allons continuer à agir sans réagir.

«Nous sommes en guerre» ? Messieurs, cette guerre vous l’avez décidée entre vous – cols blancs et costumes noirs –, bien planqués dans les ministères et dans les hautes sphères où aucune femme ne vient jamais vous déranger. Votre guerre, nous et nos sœurs l’avons menée en première ligne : infirmières, aides-soignantes, assistantes maternelles, aides à domicile, agentes d’entretien, caissières, vendeuses, ouvrières du textile, enseignantes, secrétaires, employées administratives du public et du privé…

Vous jouez avec le terme de «guerre» pour cacher votre incompétence. Un mot déplacé et viril, impliquant d’aller au corps-à-corps avec la maladie. Celles qui vont se battre chaque jour contre cette contagion, c’est bien nous, les femmes. Nous qui avons maintenu le pays à flot et sauvé des vies, sans nous défiler, sans compter nos heures et souvent sans protection alors que le Covid-19 n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle. Pour des salaires de misère et dans une situation très souvent précaire. Vous, sur vos estrades et derrière vos pupitres, vous ne risquez rien.

 

Vaille que vaille

Messieurs, chaque jour, nous sommes allées travailler la boule au ventre, nous avons côtoyé la mort de près, nous avons risqué notre santé et celle de nos proches. Nous avons soigné vaille que vaille, nous avons essayé de nous occuper dignement de nos ancien·ne·s et fait fonctionner les magasins dans l’ombre. Nous avons fait tourner l’économie, même quand elle n’était pas essentielle. Pour pallier l’impréparation de l’Etat, nous avons fabriqué des masques. Nous avons désinfecté vos bureaux et gardé vos enfants. Au foyer, nous avons accumulé les charges mentales, assuré la continuité pédagogique, le bien-être de la famille et les tâches ménagères. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la journaliste Séverine écrivait «les femmes ont été des domestiques de la guerre», cette phrase retentit encore aujourd’hui.

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Messieurs, vous nous parlez de votre «monde d’après» mais il ressemble étrangement au monde d’avant. Des unes des journaux aux plateaux télé en passant par les articles, vous nous contez les leçons de la crise, entre vous, sans nous, comme avant. Dans toute la presse, seule 19% de la parole experte est le fruit de femmes. Vous profitez de l’épidémie pour nous invisibiliser davantage, pour nous renvoyer au second rang, suffisamment attentionnées pour prendre soin de vous, mais en incapacité de prendre la parole pour analyser la situation.

Ce que vous oubliez de voir, c’est que cette crise a révélé aux yeux de tou·te·s l’injustice criante dans laquelle nous vivons. Elle a rendu encore plus inacceptable la fracture de genre qui régit notre société : précarisation des métiers du lien, essentiellement féminins et indispensables, exacerbation des inégalités, accentuation de la fragilité des familles monoparentales, augmentation catastrophique des violences faites aux femmes dans la sphère privée comme dans la rue, difficultés encore plus grandes pour accéder à la santé reproductive…

 

Droits et reconnaissance

Nous sommes devenues visibles et nous ne voulons pas retomber dans l’oubli. Nous fêtons aujourd’hui le 8 mai, nous rappelant que trop de guerres sont passées, nous ont utilisées pour permettre à l’économie de fonctionner, au monde d’avancer, puis nous ont renvoyées au mutisme. Comme si de rien n’était. Pendant ces années, les femmes se sont battues pour leur autonomie et leur indépendance. Si elles ont pu voter en 1945, elles ont gardé le statut de mineures : interdiction d’avoir un compte en banque ou de travailler sans l’accord du père ou du mari. Les hommes, en rentrant de la guerre, ont remis la main sur l’économie et sur la vie de l’autre moitié de la population qu’ils imaginaient soumise. Nous ne voulons pas revivre cela, nous voulons cette fois des droits et de la reconnaissance.

Votre guerre, ce n’est pas uniquement une lutte contre un virus, elle a des conséquences globales sur nos vies. Vous ne l’avez pas préparée et c’est nous qui le payons. Par vos discours culpabilisants sur les «priorités» médicales, des femmes n’osent plus se rendre dans les centres d’IVG, droit qui n’attend pourtant pas. Les rues se vident mais le harcèlement y reste omniprésent. Les violences domestiques se sont accrues. L’enfermement ne permet aucun répit aux femmes. Cette guerre ne doit pas non plus être l’excuse d’un recul de nos droits.

Alors, Messieurs, nous ne serons plus jamais les bonnes petites soldates de vos guerres. Nous ne serons pas vos domestiques non plus. Il est bien trop facile de nous applaudir, de saluer notre dévouement et nos sacrifices. Cela vous donne bonne conscience mais ne croyez pas que cela nous fasse oublier les casseroles que vous traînez, ne croyez pas que nous allons continuer à agir sans réagir. Des casseroles, nous en utilisons souvent, aux fenêtres, elles nous réchauffent le cœur mais nous ne voulons pas retourner aux fourneaux et sans droits supplémentaires une fois qu’elles auront fini de retentir.

 

Mesdames, nous ferons front, exigeons de nouveaux droits et des moyens pour assurer, à tous les niveaux de la société et dans tous les aspects de notre vie, une égalité réelle entre les femmes et les hommes et une revalorisation salariale des métiers féminisés. C’est à nous aussi de décider pour empêcher que des hommes en cols blancs et costumes noirs déclarent des guerres. Le monde de l’après-crise sera celui de l’égalité. Nous le devons à toutes les femmes d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Signataires :

Aurélie Reymond, aide-soignante; Johanna Foucault, agente des services hospitaliers en Ehpad; Sylvie Paupe, auxiliaire de vie; Carole Noël, hôtesse d’accueil Carrefour Market; Fahima Laidoudi, aide à la personne, militante politique issue des quartiers populaires; Les femmes en lutte de l’hôtel Ibis BatignollesÉvelyne Paulin, infirmière; Nassima Faiq, aide-soignante; Cécile Brunet, agente des services hospitaliers; Stéphanie Fouani, couturière bénévole et solidaire; Héloïse Duché, co-fondatrice de Stop Harcèlement de rueCarine Lacrotte, aide à domicile; Géraldine Revy, enseignante spécialisée pour enfants en situation de handicap; Pauline Doussaint, étudiante en soins infirmiers; Léa Le Bricomte, artiste plasticienne; Céline Beraut, aide-soignante; Ophélie Latil, fondatrice du collectif Georgette SandMarjorie Choblet Leclair, enseignante; Marianne Maximi, éducatrice spécialisée en protection de l’enfance; Eva Oberson, pâtissière; Agathe Grimault, psychomotricienne; Elise Thiébaut, autrice; Tiziri Kandi, CGT – Hôtels de prestiges et économiques; Mathilde Larrère, historienne; Cathy Jurado, écrivaine; Corinne Sabot, aide soignante; Jill Royer, informaticienne, militante féministe et LGBTI; Youlie Yamamoto, ATTAC; Catherine Rotty, professeure d’histoire-géographie; Olivia Mokiejewski, fille de résidente en EHPAD; Marlène Jolidon, infirmière; Katia Yakoubi, travailleuse sociale; Natasha Le Roux, directrice d’une école de musique, danse et théâtre; Mathilde Julié-Viot, fondatrice du site Chair CollaboratriceChristelle Rault, enseignante; Frédérique Matonti, politiste; Catherine Faute, infirmière et syndicaliste; Gaële Le Noane, dirigeante de l’entreprise Marguerite et cie; Emmanuelle Fève, secrétaire médicale, hôpital de la Pitié Salpêtrière; Jena Selle, couturière bénévole et solidaire du 19e, militante LGBTI; Claire Charlès, secrétaire générale des Effronté-es, association féministe et LGBT; Dominique Dandonneau, professeure des écoles; Claire Arnoux, militante associative et politique; Seloua A, psychologue; Pauline Salomon, assistante juridique; Séverine Véziès, professeure en IUT; Pépita Car, assistante artistique; Corinne Cambon, employée administrative en mairie; Mathilde C., étudiante; Marion Audrain, enseignante; Pamela Hocini, juriste, chargée d’indemnisation et syndicaliste; Lisa Saunier, project manager; Nathalie De Biasi, militante altermondialiste; Armelle Andro, professeure de démographie à Paris 1, spécialisée sur les mutilations génitales féminines, la santé sexuelle et reproductive; Sarah Bouin Claude, professeure.

Avec le soutien de Leïla Chaibi, eurodéputée; Anne-Sophie Pelletier, eurodéputée; Laurence Rossignol, sénatrice de l’Oise; Karima Delli, eurodéputée; Danielle Simonnet, conseillère de Paris; Mathilde Panot, députée; Léa Filoche, conseillère de Paris déléguée chargée des solidarités; Manon Aubry, eurodéputée; Aurore Lalucq, eurodéputée; Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris chargée de l’égalité femme/homme, de la lutte contre les discriminations et des Droits Humains; Myriam Martin, enseignante et conseillère régionale Occitanie.