Tribune | Renault : choisir la voie de l’emploi et de l’écologie

Image par RAEng_Publications de Pixabay 

Et si l’Etat, en contrepartie de ses aides, demandait au constructeur d’arrêter de produire des voitures au-delà d’une certaine cylindrée ? Ce serait un premier pas vers une nouvelle stratégie répondant vraiment aux intérêts sociaux et écologiques.

Tribune. La crise de Renault vient de loin. C’est avant tout l’échec d’un modèle qui voulait faire de l’alliance Renault-Nissan le premier constructeur automobile mondial. La folie des grandeurs de l’ancienne direction a privé l’entreprise d’une stratégie industrielle. Résultat : surcapacité de production, délocalisation au profit des pays à bas coût, déséquilibre au profit de Nissan et absence de vision à long terme. Malgré les évidences, l’Etat français a laissé faire. Avec 15% des actions, il aurait pourtant pu s’y opposer.

La priorité actuelle du groupe est maintenant uniquement financière. C’est ce qui conduit la direction de Renault à chercher à baisser les coûts de production à court terme. Pour cela, la réponse est toute trouvée : fermer des sites industriels, délocaliser et tailler dans les effectifs. Autrement dit, faire payer aux salarié·e·s les erreurs de la direction. Avec l’excuse rêvée de la crise du Covid-19.

Le plan présenté par la direction vise une économie de 2 milliards d’euros. C’est précisément la somme que Renault a versée à ses actionnaires sur les années 2018 et 2019. Cherchez l’erreur. Pour trouver ces deux milliards, Renault va supprimer 4 600 emplois en France et réduire l’activité de plusieurs sites. L’usine de Choisy-le-Roi serait définitivement supprimée.

4 600 emplois directs supprimés, auxquels se rajouteront les emplois des entreprises sous-traitantes, souvent oubliées en période de crise. Pourtant l’Etat a mis la main à la poche. Le gouvernement a annoncé pas moins de 5 milliards d’euros de prêt garanti en exigeant de maigres contreparties. En d’autres termes : l’Etat signe un chèque faramineux et Renault encaisse. En oubliant les emplois.

Montée en gamme climatique

Reconstruire le secteur automobile passe par une étape obligatoire : reconnaître que le modèle de la voiture individuelle propulsée par un moteur thermique n’est pas une solution d’avenir. Artificialisation des terres avec la construction de nouvelles routes, accaparement de l’espace public au profit de la voiture, accidents, etc. Au-delà de ces aspects, le secteur des transports est responsable de 31% des émissions de gaz à effet de serre – un chiffre en augmentation constante ces dernières décennies. Le transport routier représente, lui, 72% de ce total.

Dès lors, il est urgent de revoir le type de véhicules et plus largement les modèles de mobilité. Avec leurs savoir-faire, les salarié·e·s de Renault peuvent être à la pointe de ce changement de paradigme. Concevoir des véhicules plus légers et plus compacts pour moins consommer. Moins de gadgets superflus également, comme les ordinateurs de bord, pour diminuer l’utilisation de matériaux. Les low tech – par opposition aux high-tech – permettent de développer des technologies et des techniques fiables, robustes et peu consommatrices de matières premières.

Comme contrepartie immédiate au prêt de l’Etat, il peut d’ores et déjà être demandé à Renault de cesser de produire des voitures au-delà d’une certaine cylindrée ou d’une certaine masse, exception faite des utilitaires. En 1945, l’Etat français avait lancé le plan Pons, une planification de la production automobile. Ce qui a été fait au sortir de la guerre peut être fait aujourd’hui, avec l’impératif écologique en plus.

Reconversion industrielle et relocalisation

La crise du Covid-19 a suscité des appels à la relocalisation des industries stratégiques, y compris de la part d’Emmanuel Macron. Toutefois, la fermeture du site de Choisy-le-Roi entamerait un mouvement de désindustrialisation de l’Ile-de-France. Pourtant, l’usine est présentée comme «un modèle d’économie circulaire», ayant permis d’économiser plus de 70% de matière première. Spécialisée et pionnière dans le reconditionnement de pièces de moteurs, le site contribue à l’allongement de la durée de vie des véhicules, en proposant un modèle d’économie circulaire cohérent qui s’appuie sur une main-d’œuvre spécialisée, à haute valeur ajoutée, et par conséquent non délocalisable.

Ce n’est de toute évidence pas la stratégie choisie par Renault, qui s’appuie sur une segmentation des activités liées à l’économie circulaire au sein du groupe, et pour qui tous les sites sont interchangeables. L’argument des dirigeant·e·s est que l’activité de Choisy peut être transférée à Flins. Or, ce qui fonde la richesse du site de Choisy, ce sont ses salarié·e·s et une activité qui s’ancre dans une montée en compétences industrielle longue de soixante-dix ans. Par ailleurs, Flins est situé à 60 km de Choisy, ce qui aurait des impacts conséquents sur la mobilité des salarié·e·s, qui pour la plupart se sont installé·e·s sur le territoire.

Contre une stratégie hors sol, le site de Choisy regorge d’opportunités. Il s’insère dans un tissu dynamique en termes de recherche et développement (cluster Matériaupole, recherche sur les matériaux, cluster Eau-Milieux-Sols), et d’activités avec lesquelles il serait possible d’établir des synergies. Renault pourrait s’appuyer sur ces compétences pour diversifier ses activités vers d’autres volets de l’économie circulaire, comme l’écoconception et l’écologie industrielle (mutualisation de flux d’énergie et de matière au sein d’un territoire).

Les freins à ce type de démarche sont moins économiques que politiques et tiennent au maintien d’une logique de concurrence plutôt que d’une logique de développement territorial. A l’inverse, la réorientation de Renault selon les principes de la planification écologique pourrait être le symbole d’une nouvelle économie répondant aux intérêts sociaux et écologiques.

 

Signataires :
Leïla Chaibi, députée européenne, membre de la commission transports et tourisme,

Julie Garnier, oratrice nationale de la France insoumise,

Kevin Kijko, co-animateur du livret transports de la France insoumise,

Emilie Marche, coanimatrice du livret transports de la France insoumise, conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes,

Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne, vice-présidente du groupe parlementaire la France insoumise à l’Assemblée nationale,

Georges Trebaol, salarié de Renault,

Sonia Veyssière, co-animatrice du livret déchets et économie circulaire de La France insoumise.

Tribune initialement parue dans Libé ici